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« Philippe Anthonioz » est publié par Lefevre Fine Art pour l'exposition "Philippe Anthonioz" galerie Lefevre Fine Art, Londres, du 15 novembre au 14 décembre 2007 et à la galerie Tino Zervudachi, Paris, du 22 novembre 2007 au 5 janvier 2008.
Le XXe siècle aura vu une libération de la sculpture occidentale encore plus inattendue —et sans doute plus complète par rapport à la tradition— que celle de la peinture après l'impressionnisme. D'abord une libération par rapport à l'effigie, ce qui a été essentiel pour que les créateurs redécouvrent que l'imagerie n'était qu'un élément non indispensable dans leur travail à trois dimensions, comparé à ce que pouvait être l'intervention de leur art dans l'espace de la vie humaine, public ou privé. Ensuite une libération par rapport au bloc, taillé ou modelé. Cette dernière étant un résultat de la réflexion sur les sculptures africaines ou océaniennes, prise en compte d'abord par Gauguin, mais surtout, après 1906, par Derain, Matisse et Picasso qui conduisit ce dernier aux assemblages et constructions cubistes.
N'oublions pas qu'il a fallu près de deux tiers de siècle pour que cette réussite révolutionnaire soit enfin prise en compte. C'est dire l'ampleur des résistances. Or la sculpture construction retrouve, parmi les objectifs que les hommes ont assigné à leur création de volumes, les usages pratiques si bien attestés depuis le néolithique avec des pierres, des céramiques, puis les objets de l'âge de bronze. Toutefois, il a fallu écarter un autre obstacle, culturel, celui-la, car ces activités pratiques se voyaient réduites par la tradition académique aux arts décoratifs, considérées de seconde zone par rapport au grand art.
Philippe Anthonioz a la chance d'appartenir à la génération qui s'est épanouie à la fin du XXe siècle et d'avoir travaillé avec un des créateurs qui a le mieux incarné cette reconquête par la sculpture du décor de la vie : Diego Giacometti. Ce n'est qu'en 1985, au moment de sa disparition, que ce dernier a atteint la notoriété qui lui était due avec le grand lustre du Musée Picasso à Paris et sa rétrospective au Musée des Arts Décoratifs. J'ai, pour lui rendre hommage, montré comment il avait su utiliser dans ses sculptures pratiques, dès 1954, les percées avant-gardistes de son frère Alberto à qui il servait de praticien. On le lit dans ses réalisations pour l'escalier monumental et les luminaires du Mas Bernard de Marguerite et Aimé Maeght à Saint Paul de Vence. (Voir mon texte «Diego Giacometti», L'Œil No 368, mars 1986). En ce dernier quart du XXe siècle la sculpture reconquerrait ainsi chez nous l'espace du cadre de vie qu'elle avait trop délaissé depuis Gallé ou Guimard, quand « l'art nouveau » comme l'écrivait Jean Cassou dans Les sources du XXe siècle, «à dignifié les métiers du décor de la vie» parce qu'il y avait alors dans l'air un temps un besoin de résistance à l'invasion de la standardisation industrielle des formes. Le mouvement Arts and Crafts et l'Ecole de Nancy ont ainsi ouvert de nouveaux chantiers aux trouvailles de leur art. Un siècle après, Philippe Anthonioz, par ses sculptures apporte des réponses humanistes contre une standardisation désormais mondialisée et encore beaucoup plus envahissante et réductrice du fait de l'afflux incontrôlable des images que nous déversent la télé, les pubs ou internet.
Avec lui, l'ameublement perd l'extériorité du décoratif pour pénétrer dans la vie. C'est ainsi que les formes de sa sculpture prennent la force d'interventions authentiques, singulières et contestataires pour sortir des espaces banalisés. Il peut aussi bien affronter le plein air ou l'espace des architectures intérieures ou encore celui de la vie privée. Philippe Anthonioz retrouve le cachet artisanal de vérité que savaient atteindre avant la révolution industrielle certains forgerons de nos campagnes dans des crémaillères, des chenets, des plaques de cheminée, mais il le dépasse en employant les moyens les plus modernes, par exemple en reprenant la grille cubiste et le pouvoir réorganisateur de la géométrie. Pour la pureté des lignes, certes, mais aussi pour affirmer encore plus l'autonomie de ses créations.
Ses sculptures peuvent ainsi dialoguer avec l'espace des intérieurs aussi bien en transformant une rampe d'escalier, un luminaire, qu'en affrontant cet espace en tant qu'objet domestique qui guide le regard par la pureté de son dessin : table, lit ou fauteuil et lui rend le rayonnement singulier de la pièce unique. Philippe Anthonioz affronte avec le bonheur l'espace extérieur, l'espace où la nature est conservée, avec des sculptures qui jouent sur le rayonnement des formes indépendantes de figures abstraites généralement groupées. Avec lui l'évidence de l'œuvre d'art n'est jamais agressive et se fait d'abord conquête visuelle.
Respect de la matière lourde d'histoire des bois comme des richesses du bronze, affrontement des créations et de l'usage composent ainsi chez lui des formes capables en même temps d'accrocher, comme on dit, le regard et de forger une intimité, un recueillement contre les formatages de toutes sortes qui nous agressent. Grâce à Philippe Anthonioz, le fonctionnel se poétise, le dessein de la sculpture intervient pleinement dans l'art de vivre. C'est avec des moyens du XXIe siècle, un retour aux sources et une reconquête qu'il convient de saluer.
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/ « Philippe Anthonioz » is published by Lefevre Fine Art for the exhibition "Philippe Anthonioz" held at Lefevre Fine Art, London, from November 15th to December 14th, 2007 and galerie Tino Zervudachi, Paris, from November 22d, 2007 to January 5th, 2008.
/ The twentieth century has brought a liberation of Western sculpture even more unexpected and maybe more extreme with regard to the tradition and the liberation of painting after Impressionism.
First of all it was a liberation with regard to the effigy: it was fundamental for designers to rediscover imagery. This had not been an essential element in earlier three dimensional work. Secondly, it was a liberation of the single block sculpted or modelled. The latter was the result of the influence of Africa and Oceania first taken on board by Gauguin and then, after 1906, by Derain, Matisse and Picasso and which eventually led Picasso to his cubist assemblages and constructions. One must not forget that two thirds of a century were needed for this revolutionary change which shows the magnitude of the resistance to such ideas. Since the Neolitic age, amongst the objectives set out by man in creation of volume, the construction of sculpture was put to practical use as seen in stones, ceramics and objects from Bronze Age. During this process, there was another obstacle —this time cultural— as art was said to be merely decorative by Academic Tradition and was considered as secondary compared to fine art.
Philippe Anthonioz is lucky to belong to the generation that flourished at the end of the twentieth century and lucky to have worked with one of the designers who personified this recapture of life's decoration in sculpture: Diego Giacometti. It was only in 1985, after he died that he became famous due to his monumental chandelier in the Musée Picasso in Paris and a retrospective exhibition at the Musée des Arts Décoratifs. In my article « Diego Giacometti » in L'Œil no. 368, March 1986, in honouring him, I was able to show how, from 1954 onwards, he used his brother Alberto's avant-garde vision. You can see this in his monumental staircase in lights in the house of Marguerite and Aimé Maeght in Saint Paul de Vence.
In the last quarter of the twentieth century, sculpture was conquering once again the space in life which had been neglected since Gallé or Guimard. This was when, as Jean Cassou wrote in «Source du XXe siècle», «art nouveau dignified the crafts of life's scenery». At that time there was a general feeling for a need to resist the invasion of industrial standardisation of shapes. Arts and Crafts and the School of Nancy opened up new opportunities.
A century later, with his sculpture, Anthonioz brings humanistic answers to a standardised world overrun even more by the images brought to us by television, ads and the internet.
With him, furnishings are not only decorative but show the meaning of life. The shapes of his sculpture take on the strength of real interventions, singular and challenging. He can just easily confront the outdoors, architectural spaces and private interiors. Philippe Anthonioz finds the truth in the character of his craft which had been lost before the Industrial Revolution and even then had only been found by a few blacksmiths in the countryside. When making chimney pieces, fire backs and firedogs, he uses the most modern of technology by taking for example a cubist grille and geometric organisational power. This he does for the purity of the line but also to show the individuality of his creations.
His sculpture can therefore communicate with the interior space as well as transforming a banister or lamp. It can even guide one's look by the purity of his drawing. A table, a bed or an armchair are all unique pieces. Philippe Anthonioz takes on the outside world with the same enthusiasm and joy: this is the space where nature is preserved together with sculptures which play on the radiance of independent shapes and grouped abstract figures. With him works of art are never agressive but are first and foremost a visual conquest. His respect for wood, full of history, as well as for richness of bronze, compose shapes which are capable of capturing the eye and forging a special privacy and a contemplation which goes against the conformity of everyday life. Thanks to Philippe Anthonioz, the functional becomes poetry, the design of sculpture intervenes with the art of living. It is with the medium of the twenty-first century that we salute a return to the sources and a new conquest.
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Ouvrage de 2011 publié en version française et en version anglaise par les éditions Gourcuff Gradenigo à l'occasion de l'exposition éponyme au musée d'art et d'industrie La Piscine, à Roubaix du 22 octobre 2011 au 8 janvier 2012
« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.» René Char
Philippe Anthonioz perturbe la définition du designer et il brouille l'image du sculpteur.
Les frontières qui divisent la sculpture et le mobilier, sont chez lui faites pour être transgressées.
Meubles sculptés? Sculptures meublantes? Va et vient incessant de l'artiste entre les arts appliqués et les beaux arts. Problématique récurrente du Musée de Roubaix.
L'œuvre est libre d'influences et de modes.
Son art est sémantique —qu'est-ce qu'une table, une chaise, si elles ne sont pas utilisées?— mais il est aussi terriblement sensuel —les formes organiques attirent la main et le regard.
Par chacune de ses pièces il s'éloigne de l'anecdote, de l'insignifiant et forge l'essentiel. Les objets du quotidien deviennent les objets du désir (et non de l'envie).
Philippe Anthonioz ne dessine pas ses meubles, il les façonne dans le plâtre, puis l'échelle se modifie et la matière transmute. La délicate maquette modelée dans la douceur du gypse devient l'arrogant fauteuil de bronze. La présence intense de ses meubles/sculptures dans l'espace éloigne les lieux communs du design tellement galvaudé. Jamais il ne gaspille son talent dans des œuvres faciles, bavardes, insipides. Ses recherches traduisent ses vagabondages poétiques et romanesques réécrits par le bronze dense et solide. Dans son œuvre il y a aussi l'intime. On y trouve le vent, la fraternité, la passion, des utopies… Des plâtres polis, des bois polychromes ou originels qui disent toute la richesse formelle et stylistique du travail de Philippe Anthonioz, son amour de la matière, de l'histoire et du geste.
Et puis, comme par nécessité de laisser l'empreinte de cette quête de la forme, il capte la lumière qui effleure et pénètre la matière, dans des photos où les œuvres se défient et se comparent sur fond d'atelier. Vision frontale, absence d'ombre, clichés justes, regard presque clinique et partout le présence de l'artiste remplit l'image. Si ses œuvres sculptées sont secret et mystère, tout, ou presque, est dit de son art dans ses photos «écriture du vacillement» (comme le dit Barthes). La délicatesse de l'ébauche se découvre dans les monolithes, l'hésitation de la main dans les cicatrices des téguments de la matière et la force de la pensée dans l'équilibre parfait et la pertinence des créations. L'artiste se dévoile dans ses cadrages où enfin se devinent les traces de son passage.
Depuis plusieurs années la Piscine s'interroge sur les liens qui unissent les beaux-arts et les arts appliqués. Philippe Anthonioz, dans son travail présenté ici, écrit un chapitre supplémentaire dans cette histoire commune, déjà si bien illustrée par Picasso, Chagall, Dufy.
La ponctuation toute musicale d'une suite très différenciée de quelques soixante sculptures pour cette exposition, relève bien, chez Philippe Anthonioz, de canons esthétiques intemporels qu'il a su se réapproprier, depuis la figuration première jusqu'aux derniers développements de ses constructions abstraites. Ce corpus plastique résolument polymorphe réunit fort à propos au musée d'art et d'industrie de Roubaix, une trilogie forte de ses travaux sélectionnés à partir d'une production ternaire qui s'échelonne sur trois décennies: un ensemble de reliefs et sculptures monochromes en ronde-bosse s'intègre au fil des présentatoirs avec nombre de spectaculaires sculptures de mobilier d'usage non loin de portraits de sensibilité intimiste. Enfin, une sélection inédite de photographies de ses propres pièces souligne, en y participant, l'unicité générale de cette sélection qui pourrait sembler composite de prime abord. Le pari est gagné tant le parcours permet de saisir les étapes successives et parallèles d'une somme très réfléchie. Philippe Anthonioz, au seuil de sa maturité, formule ici une réponse contemporaine très personnelle au dilemme éprouvé, qui taraudait déjà François Mathey au musée des Arts décoratifs il y a quarante ans: «Sculpture d'usage» versus «Usage de la sculpture».
Cette maîtrise incontestable de Philippe Anthonioz à cumuler, concilier et conforter ces deux pratiques de la création doit beaucoup à une éducation et une formation hors les normes. Il est le benjamin d'une fratrie très unie de quatre enfants, nés chez Bernard Anthonioz, directeur de la création artistique auprès du ministre André Malraux ca. 1960-1980) et de Geneviève de Gaulle Anthonioz, figure éminente de la Résistance, reconnue pour son engagement supérieur au service du quart monde. Adolescent, Philippe Anthonioz a vécu au contact d'artistes de premier plan et d'artisans d'excellence dans l'enceinte des ateliers du Mobilier national, à la Manufacture des Gobelins à Paris. Jeune autodidacte, indépendant au premier chef, il a pratiqué la céramique avec Nadia Pasquer (ca. 1967-1971) bien avant de sillonner le Louvre. Hors des singuliers «Sentiers de la Création» défrichés par l'influent Gaëtan Picon pour l'éditeur Albert Skira (1979), il a ensuite pratiqué plusieurs années avec autant de volonté que de plaisir, la menuiserie —discipline à laquelle il garde aujourd'hui, avec la charpente, une incontestable dilection. Sa rencontre, enfin, avec Diego Giacometti, qui doit beaucoup à l'amitié du sculpteur d'origine britannique Raymond Mason, et sa collaboration étroite de 1982 à 1985 pour la réalisation du mobilier du musée Picasso à l'hôtel Salé, furent décisives pour la poursuite de ses propres travaux.
Sous les doigts de Philippe Anthonioz, le plâtre fait aussi bien vibrer la matrice structurelle en fer qu'il enrobe, qu'une armature épaissie de filasse, plus hiératique, sur laquelle il s'accroche. Ce matériau lacté inerte s'impose pour sa fluidité naturelle au service du faire par le travail des mains. À l'instar d'une terre rare, il l'emploie comme une autre terre crue —celle, également nourricière et sincère qu'il pétrit avec plaisir et liberté depuis sa période de formation. Plâtre immaculé et terre argileuse sont les nutriments fluides sur lesquels repose, au sens physique du terme, le double vocabulaire d'Anthonioz —formel comme informel. Ainsi décline-t-il, à quatre mains pourrait-on dire, au fil du temps et selon ses intuitions, certains «moments données» qui se chevauchent ou s'opposent sans se contrarier. Ambidextre dans son inspiration, il valorise de même façon un registre spatial double qui répond, comme Janus, à la vocation duel de son espace intérieur. Ainsi, a-t-il pu façonner en quelque trois décennies avec la même concentration ductile, l'effigie familière de Noémi ou d'autres modèles (Kem), une lanterne monumentale à la rigueur antique (2011) comme sa première œuvre monumentale «Méditerranée» (2000), trois sculptures à quatre mains —colorées par son frère peintre François-Marie Anthonioz, jusqu'à sa plus récente, le très polyphonique «Accordéoniste» (2011, H. 3m). C'est selon une alternance toute scénographique que sont donc réunies à La Piscine, quelques pièces verticales très dynamiques à proximité de table-pieces plus intériorisées, elles-mêmes voisinant avec différentes wall-pieces.
Dans l'atelier du sculpteur où la lumière en rez-de-chaussée n'est justement pas la plus éclatante, l'ombre est fructueuse de découvertes à la croisée des perspectives, au-delà des raccourcis. Un silence tranquille circule entre les œuvres, quand la prise à l'air bruisse des reprises du sculpteur sur la sellette à hauteur de sa pratique. Au cœur de ces fragments d'espace dont chacun est unique et mystérieux, où l'intérieur induit l'extérieur, le dedans —le dehors, la présence dans l'absence, il est une autre interrogation qui soutient le regard: celle de l'immanence de l'œuvre, suspendue entre un point cardinal et son alter ego. Sur les pages murales de ce lieu de naissance, chaque œuvre dans son unicité prend corps et s'ordonne en contrepoint comme sur une portée musicale.
Pour les reliefs, la mise en jeu —toujours le dialogue du vide et du plein (pour reprendre le titre de François Cheng, 1979) —soumet l'artiste à un exercice troublant d'équilibre, champ contre champ. Avec savoir et dextérité, il explore de ses mains les variations d'un espace qu'il a au préalable volontairement borné —comme on le dirait d'un terroir: deux mains pour ces hauts reliefs au constructivisme accompli —ces deux mêmes mains qui prônent du même élan la réinvention d'éléments à usage mobilier.
Selon d'inévitables repentirs et retours en arrière, Anthonioz compose, assemble, biffe, recouvre, décompose, lave, réduit, édifie… Les changements s'opèrent au plus près du grain du toucher. Un limon mouvant fertilise au gré des mouvements de la main à l'outil, la peau de l'œuvre en devenir. Des matériaux solides sortent des volumes informels qui, très naturellement, croisent des assemblages plus graphiques: rayons axiles de tables basses, mains courantes en ellipse, lustre déroulant un ruban sans fin à la Moebius ou consoles d'appliques géminées. La même autorité manuelle transparaît dans chacun de ses univers personnels —art de voir, art de vivre —selon un même épiderme— la «fleur» qui s'ouvre au désir de toucher. Une semblable netteté marque, dès l'esquisse ou la maquette initiale, l'arête de ses compositions —qu'elles soient d'usage ou de transposition. Enduire, lisser, gratter, reprendre, sont les mots du travail —vibrer, sourdre, résonner, ceux de la fonction ultime.
Pour ses reliefs abstraits —l'accolade des deux mots souligne l'ambigüité de l'opposition entre sujet et abstraction —Philippe Anthonioz pose sur l'établi, à l'horizontale, couchées pourrait-on dire, tantôt des plaques de bois découpées sur l'heure, tantôt des galettes de plâtre encore frais dans lesquelles il estampe des fractions d'assises. Il faut bien songer que l'œuvre au devenir vertical, sinon frontal, peut à l'origine être conçue de même main, à plat et/ou latéralement comme le furent certaines mosaïques médiévales, comme celles de Ravenne qu'il avait découvert enfant, avec ses parents.
Une première engobe détourne l'assemblage premier. Il l'étale à la grosse, la griffe, la lisse, la polit ou la grène pour en dégager l'unité. Dans une même famille de modelés, une nouvelle construction bientôt s'ordonne, reprenant des contours élémentaires antérieurs pour, rapidement, s'en distraire et trouver autrement son envol original. La simplicité recèle de vertigineux possibles. D'une composition à la suivante, le fragment comme le tout s'apparient aux précédents dans un exercice palmaire expérimenté.
Les œuvres de Philippe Anthonioz n'offrent guère de références au questionnement environnemental de la sculpture contemporaine tel qu'on l'appréhende devant certaines installations hors-les-murs aujourd'hui. Elles trouvent sans conteste leurs racines dans un paysagisme abstrait autrement intérieur. En camaïeux d'ombre et de lumière, fluides et alternées à contrejour, entre gris d'argent et blancs d'ivoire, ses formes s'inscrivent dans l'espace et se répondent dans une linéarité fusionnelle, une résonance de plain-chant. Les pleins et les creux jouent de l'addition et de l'évidement. La maîtrise des étapes répond aux exigences propres de la ronde-bosse —terme bien décalé pour des compositions en silhouettes segmentées. De plans reliefs en surfaces biaisées, le regard se coule à l'envi au rythme des pans coupés et des angles, de méplats concaves en bossages convexes. Articulations invisibles, chevilles secrètes, embrèvements simples, tous les tenants [les tenons?] de ces architectures internes servent l'émotion visuelle dans un équilibre sonore juste et resserré. Cette tension propre confère à l'œuvre, chacune de ses métamorphoses en témoigne, une puissance immaculée.
L'arbre-mère et ses greffons
«Et cette arborescence progressive et successive, s'étend d'elle-même, se rencontre elle-même, s'oppose des rameaux, perd son fil, se méconnait régulièrement comme suivant une loi». Paul Valery
L'œuvre de Philippe Anthonioz se développe en branches, en rameaux et brindilles autour d'un arbre. Chacun s'épanouit différemment et d'autant plus librement dans l'espace et le temps qu'ils se savent raccrochés au même tronc puissant, nourris au flux et au reflux perpétuel d'une sève vitale. C'est ce va-et-vient entre une sculpture d'usage et un usage de la sculpture, cette soit disant confusion des genres que Philippe Anthonioz, lui, situe entre «chien et loup» qui caractérisent ses façons d'aborder la sculpture. Ce ne fut ni une décision, ni un jeu, cela c'est fait comme ça, comme se fabrique une vie: les ramures se sont misent à bourgeonner au fur et à mesure que l'artiste approfondissait ses élans créateurs. Philippe Anthonioz n'est ni touche à tout, encore moins dilettante. Il se lance à corps perdu dans des chemins multiples pour assouvir une curiosité dévorante. Il est un autodidacte sans programme, l'assume et le revendique. Il est de ceux qui ont appris directement de la vie, de sa famille, de ses voyages, de ses rencontres, de son amour sensuel pour la matière, de sa soif du «faire». Il a d'abord aimé le bois, construit des charpentes, s'est rendu capable d'analyser, de poser les problèmes et surtout d'apprendre à les résoudre. Puis a raffolé de la terre avec laquelle il a pétri têtes et bustes; enfin, revenu au bois, il l'a creusé et entaillé pour en faire des compositions et des collages d'inspiration cubiste ou constructiviste ainsi que des empilements de formes géométriques ou organiques. S'intéressant aussi toujours plus au plâtre, il en est venu au bronze pour pérenniser le plâtre. Repris par son goût de la fonctionnalité —cette préoccupation de ses débuts devenue une constante obsession— il a souhaité la magnifier, construire une table, un siège, un luminaire, mais d'un classicisme resplendissant et rigoureux.
Chemins de traverses
Non seulement il accepte pleinement l'apparente ambigüité de ses allées et venues entre savoir-faire et pulsions artistiques, mais il la revendique comme sa démarche personnelle, son mode de fonctionner, sa «substantifique moelle». Toutes ses directions, ces branches diverses élaborées à partir de matériaux différents mais familiers, le bois, le plâtre, le bronze, lui ont dessiné une carrière en dents de scie difficile à classer, une œuvre impossible à répertorier d'autant plus que ces pratiques disparates ne se succèdent pas selon des époques bien déterminées, mais croissent, se croisent et s'entrecroisent, se développent et se peaufinent souvent en même temps. Le temps de Philippe Anthonioz reste mystérieux. Ses façons de jouer de divers instruments à la fois proches et différents, ses intérêts parallèles mais jamais cloisonnés, qui émergent, s'épanouissent, se remettent en sourdine pour mieux réapparaître forment un orchestre disparate d'une poésie tout à fait légère. Une façon de travailler très en phase avec la manière dont l'art avance aujourd'hui, hétérogène et mélangé par définition. Le fil conducteur affleure ou non mais il est toujours sous-jacent, sans discordances. Ce désir de ne pas se couper les ailes, de s'essayer à tout ce qui trouble et intéresse, de prendre des chemins de traverse, tout cela est conforme à ce qu'il est profondément, un artiste complet et complexe qui explore avec bonheur l'ensemble de ses curiosités jusqu'à ce que cela fasse un tout. Aucune branche de l'arbre n'est la même mais toutes naissent du même fût, toutes font partie de la même frondaison, d'une même fratrie, du même arbre généalogique.
Points et Contrepoints
Autodidacte certes, Philippe Anthonioz a néanmoins tout appris dans sa famille. Une famille remarquable et peu conformiste qui lui inculque des valeurs simplement par l'exemple et le vécu. Il apprend auprès d'elle aussi bien l'existence de l'art par la fréquentation des artistes (et pas des moindres), la générosité et l'altruisme en même temps que le courage que nécessite la liberté, de penser comme de bouger. Il y comprend la beauté simple et modeste qui se cache dans certains objets populaires, il y aiguise l'acuité de l'œil qui sait isoler le détail parfait mais aussi le regard intérieur du rêve, l'innocence, la fraîcheur, l'émerveillement. Il raconte comment dans le vieux musée égyptien de Turin, parmi l'ensemble d'une cinquantaine de petites statuettes réunies, il a su trier parmi celles qui n'étaient que des «objets de fouille» passionnants, les quelques une qui lui sautèrent aux yeux, car elles étaient, elles, de vraies «sculptures». Savoir regarder en s'émerveillant, c'est savoir résister, affronter la vie et surtout la débusquer partout et sans trêve. D'où l'obligation de reconnaître la puissance de son imagination et de l'écouter. Si certaines de ses sculptures se tordent comme des flammes ou s'enroulent dans l'espace, si d'autres se présentent frontales et ajourées ou en rondes bosses plus compactes, d'autres sont laissées comme «en suspens» présentées non-finies comme des témoins. De la même façon ses maquettes de meubles ou ses magnifiques photos silencieuses, existent pour concrétiser des instants volés, des idées prises sur le vif et non développées, telles des croquis, des bourgeons ou des feuilles sur le point de tomber, des bouts de phrase qu'on lancerait comme bouteilles à la mer. Des points de départ pour autre chose, des points qui seront suivis de contrepoints… Le mobilier et la photographie viennent en contrepoint de la sculpture.
L'arbre de vie
Sa sculpture a donc souvent un aspect non finalisé. Cela traduit une impatience, un désir pressant de faire, de mettre «en attente». Philippe Anthonioz exprime avant tout autre chose la vie et déteste le mot «achever» qui évoque une mise à mort. La pratique artisanale, par contre, si têtue et patiente, le libère de ce charme du non finito qui a séduit au fil des siècles tant de grands sculpteurs. Lui essaye de faire de la sculpture, pas de la statuaire. Il rappelle que certaines sculptures ont plus de trente mille ans prenant toutes les formes possibles et imaginables depuis les silex taillés jusqu'aux installations contemporaines et se considère comme un petit rouage d'une histoire très longue. La commande de mobilier le rassure et le libère: «La commande m'oblige à finir, car tous mes meubles sont au départ une commande». Meubles sculptures, sculptures meublantes ou sculptures de sculpteurs, la question ne se situe plus là depuis belle lurette. Les meubles, qu'ils restent en plâtre comme certains lustres, ou qu'ils se transforment en bronze pour se sublimer, ont à cœur d'être parfaitement fonctionnels sans jamais devenir des objets de design. On reste dans le domaine de la forme liée à la matière sculptée, fondue, tirée à huit exemplaires. Éditer signifierait figer la matière, lui enlever de la vie. La vie, voilà le mot qui revient le plus souvent dans ses propos. La vie qu'il trouve dans les linéaments des visages et qu'il a retrouvée lorsqu'il s'est installé dans un atelier de la Drôme où il a découvert et aimé la nature, l'énergie des paysages qui se découpent par les fenêtres, et toute une nouvelle série d'entrelacements de lignes. La nature lui a fait retrouver l'immense pouvoir de la lumière et a renouvelé sa manière de faire vibrer les tensions linéaires tout en fortifiant son désir d'abstraction. Elle a densifié les pleins et les vides, a réinjecté du mouvement. Bref l'a aidé à remettre du relief dans la vie.
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/ 2011 work published in french and english by Gourcuff Gradenigo Publishing on the occasion of the eponymous exhibition at the art gallery La Piscine, Roubaix France, from October 22nd, 2011 to January 8th, 2012.
/ «A poet must leave traces of his passage, not proof. Only traces are the stuff of dreams.» René Char
Philippe Anthonioz shakes up our definition of design and blurs our image of sculpture. In his work, the boundaries that separate sculpture from furniture exist in order to be crossed. Furniture as sculpture? Sculpture as furniture? A constant toing and froing by the artist between the fine and applied arts. A recurrent conundrum at the Musée de Roubaix. The work is free from influence and fashion.
Anthonioz's art is semantic —what is a table, what is a chair, if they are not used as such?— but it is also highly sensual, with organic forms that lure the eye to linger and invite the hand to touch. With each of his works he distances himself from the anecdotal and insignificant, in order to forge the essential. Everyday items become objects of desire (and not of envy). Anthonioz does not design his furniture; rather he shapes it in plaster, before modifying the scale and transmuting the material. The delicate maquette modelled in the softness of gypsum becomes a bronze chair, commanding and confident. The powerful presence in space of his furniture/sculpture succeeds in holding at a distance all the hackneyed clichés of design. He never squanders his talent on work that is facile, long-winded or insipid. His areas of interest convey his journeys of discovery through poetry and literature, given new expression in the dense solidity of bronze. Intimacy is also a feature of his work, which embraces the wind, brotherhood, passion and utopias. Pieces in polished plaster, in natural or polychrome wood, speak eloquently of the formal and stylistic richness of Anthonioz's work, of his love for his materials, for history and for the art of sculpture. Then —as though compelled to leave the imprint of this quest for form— he captures the light that caresses and penetrates the sculptures, in photographs in which his works challenge and echo each other against the background of his studio. Frontal views with no shadows, portraits of almost clinical accuracy, these are images imbued with the artist's presence. While his sculptures are secretive and enigmatic, virtually everything about his art is revealed in the "flickering handwriting" («écriture du vacillement», as Roland Barthes described it) of his photographs. The delicacy of the outlines is revealed in the monoliths, the hesitancies of the hand in the scars on the sculptures' outer surface, and the power of the thought behind them in the perfect balance and pertinence of the works. The artist reveals himself through his compositions, in which we can finally make out the traces of his passage.
Over a number of years, La Piscine has examined the links that bring together the fine and applied arts. Through his work on show here, Philippe Anthonioz adds another chapter to his shared history, illustrated so powerfully in the past by Picasso, Chagall and Dufy.
/ In the work of Philippe Anthonioz, displayed in the diverse selection of some 60 sculptures brought together for this exhibition, the musical rhythms of the pieces are imbued with the timeless aesthetic canons that the artists has adopted and made his own, from his earliest representations to the most recent developments in his abstract constructions. Protean in nature, this body of works brings together —appropriately for its setting in the Roubaix Musée d'Art et d'Industrie —a threefold collection of sculptures created over three decades. Relief works and sculptures in the round are displayed alongside a number of spectacular furniture pieces, resembling early statuettes or portraits of interiors. Finally, a previously unseen selection of Anthonioz's photographs of his work underlines and adds to the overall unity of the works selected here —which at first glance might appear to form a single entity. As you walk through this exhibition, you begin to grasp the stages —both successive and parallel— of a profoundly considered whole. Standing now at the threshold of his artistic maturity, Philippe Anthonioz here offers a contemporary and highly personal response to the familiar dilemma that was already exercising François Mathey of the Musée des Arts Décoratifs forty years ago: « Sculpture for Use » (Sculpture d'usage) versus « The Uses of Sculpture » (Usage de la sculpture).
The indisputable mastery displayed by Philippe Anthonioz in his ability to combine, reconcile and reinforce these two fields of creative endeavor owes much to his unconventional education and training. He is the youngest of a close-knit family of four children; their father was Bernard Anthonioz, director of artistic creativity to André Malraux, Minister for Cultural Affairs, in the 1960s and 70s, and their mother was Geneviève de Gaulle Anthonioz, an outstanding figure in the French wartime Resistance movement and a distinguished campaigner for French society's poorest, the excluded and dispossessed.
As a teenager, Philippe rubbed shoulders with the prominent artists and craftsmen who worked in the ateliers of the Mobilier National, in the Manufacture des Gobelins in Paris, where the family lived. Self-taught from an early age and highly independent, he worked as a ceramicist with Nadia Pasquer in the late 1960s, long before he became familiar with the galleries of the Louvre. Influenced by the remarkable Sentiers de la Création series launched by the influential Gaëtan Picon for the publisher Skira in 1979, he worked with both dedication and pleasure as a carpenter for a number of years, a discipline for which he retains an almost spiritual affinity to this day. The final decisive influences on the development of his own work were his meeting with Diego Giacometti, which he owed largely to his friendship with the British-born sculptor Raymond Mason (who died in February 2010), and his close involvement between 1982 and 1985 with the furniture project for the Musée Picasso in the Hôtel Salé, in the Marais.
In Philippe Anthonioz's hands, plaster lends resonance both to the iron framework that it sheathes and to the more solid, stiffer hemp armature to which it clings. He values this milky, inert material for its natural fluidity, perfectly suited to working by hand, using it like a rare earth or another form of raw clay —one that is equally nourishing and unaffected, and that he has worked with delight and freedom since his formative years as an artist. Spotlessly white plaster and clay are the fluid nutriments on which rests —in the physical sense– Anthonioz's twofold vocabulary, formal and informal. Gradually and intuitively —using four hands, as one might say— he expresses "given moments" that overlap or oppose each other without impeding each other. Ambidextrous in his inspiration, he also develops a dual spatial register that, Janus-like, expresses the dual nature of his private vocation. So it is that over three decades, with the same ductile concentration, he has given form with the same creativity to the familiar effigy of Noémi, or Kem, a Swedish model; to a monumental chandelier of antique austerity of 2011, like his first monumental work, Méditerranée, of 2000; and to his most recent work, the highly polyphonic, 3-metre-tall Accordéoniste (2011). This show at « La Piscine » thus creates dramatic juxtapositions of a few strongly dynamic vertical pieces with more reflective table pieces, themselves interspersed with diverse wall pieces.
In the filtered light of the sculptor's ground-floor studio, sculptures emerge from the shadows at the points where lines of perspective meet, beyond all shortcuts and foreshortenings. A tranquil silence flows between the works, as the air silently echoes the sculptor's reprises on the turnable adjusted to the height that he needs for his work. At the heart of these fragments of space —each unique and mysterious, each containing the seeds of its outward appearance, interior/exterior, presence in absence —lies another question that holds our gaze: that of the immanence of the work, suspended between a cardinal point and its alter ego. On the page-walls of this place of birth, each work takes form in its unique oneness, shaping itself in counterpoint, as though in a musical score.
For the reliefs, what lies at stake —again, the dialogue between absence and presence, vide et plein, "Empty and full" in the title of François Cheng's 1979 famous essay on Chinese painting —subjects the artist to an unsettling exercise in equilibrium, balancing field against field. Deftly and skilfully, Philippe Anthonioz explores with his hands the variations of a space of which he has already fixed the boundaries, as you might say of a parcel of land: two hands for the skilful constructivism of these high reliefs; the same two hands that with the same "élan" explore the reinvention of elements of furniture.
Anthonioz composes, assembles, erases, covers, dismantles, washes, reduces, constructs, constantly absorbing the inevitable pentimenti and second thoughts, making changes at the finest limits of texture and form. Shaped by hand and tool, the moving plaster gives life to the skin of the future work. Solidity emerges from inchoate forms, which take shape quite naturally to form constructions of graphic clarity: coffee table stretchers, elliptical handrails, chandeliers unfurling to infinity like Mobius strips, paired consoles d'appliques. Each of the artist 's private worlds —the art of seeing, the art of living— is shot through with the same manual authority, shares the same skin, the same "bloom" that invites the touch of hands and fingertips. A similar clarity informs the thread of development in his work, from the initial sketch or maquette, whether for use or for transposition. The vocabulary of work — coating, smoothing, scraping, adjusting— is matched by the vocabulary of the pieces' ultimate purpose —vibrating, thrilling, resonating.
For his abstract reliefs —a juxtaposition of terms that underlines the ambiguity of the opposition here between subject and abstraction —Philippe Anthonioz places either slabs of wood, just sawn, or rounds of fresh plaster horizontally on the workbench, before stamping them with into segments —so reminding us that many works destined to be viewed vertically or frontally were originally worked by hand while either flat or laid on their side, like the medieval mosaics at Ravenna that he visited with his parents as a child.
First of all, Anthonioz roughly applies an all-over glaze, scraping, smoothing, polishing or graining it to reveal its unity. Within a family of shapes a new construction will soon take form, following the basic contours of the earlier pieces before rapidly changing course to take off on its own individual trajectory. Dizzying possibilities are contained within simplicity. From one composition to the next, both the parts and the whole echo the earlier examples in a skillful exercise of manual dexterity.
Philippe Anthonioz's work does not make reference to environmental spatial concerns in the way that certain contemporary outdoor installations do. They clearly have their roots in an abstract landscape tradition that inspires a different vision of the interior. In monochrome compositions of light and shade, silver greys and ivory whites, flowing from one to the next against the light, his forms occupy their place in space and communicate with each other in an intensely close bond of linearity. Presence and absence, filled and empty spaces play on notions of concretion and hollowing out. Mastery of the process of creation is matched by the exigencies of working in the round —an incongruous term, perhaps, for these compositions with their segmented silhouettes. From relief planes with skewed surfaces, the spectator's gaze is drawn on, following the rhythms of segments and corners, of hollowed-out planes and rounded bosses. Invisible articulations, secret pegs, simple joints, all the components of this interior architecture serve the visual emotions in an equilibrium that is as resonant as it is immaculately judged and perfectly calculated. It is an inherent tension that confers on Anthonioz's work, in all its protean manifestations, an irreproachable strength.
/ Grafts of the Parent Tree
« And this arborescence, gradual and successive, spreads out by itself, encounters itself, finds its branches opposing each other, loses its way, regularly fails to recognize itself, as though in obedience to some law.». Paul Valery
The work of Philippe Anthonioz spreads outwards like boughs, branches and twigs around a tree. All the branches develop independently, and they do so all the more freely in space and time for knowing themselves attached to the same powerful trunk, nourished by the constant rise and fall of its life-giving sap. It is this movement to and fro between a sculpture for use and a use of sculpture, this so-called confusion of genres, this twilight zone that characterizes Philippe Anthonioz's approach to sculpture. Neither a decision nor a game, this was just the way things happened, the way a life shapes itself: as the artist delved ever further into his creative processes, so the branches began to come into bud. Neither a dabbler nor a dilettante, Anthonioz explores a multiplicity of paths, throws himself body and soul into each in order to satisfy his unquenchable curiosity. He accepts and takes pride in the fact that he is self-taught, following no particular precept or programme, but learning instead from life, from his family, travels and encounters, and from his sensual love of materials and his need to do and make. Wood was his first love: he built wooden structures and frameworks, worked out how to analyse them, how to address problems, and above all how to resolve them. Then his passion turned to clay, which he used to mould heads and busts; then at length he returned to wood, hollowing it out and delving into it to make compositions and collages inspired by the Cubists or Constructivists, as well as piles of geometric and organic shapes. Becoming ever more interested in plaster, he then came to bronze as a way of perpetuating it. Returning to his passion for functionalism —an early preoccupation that had become an ever-present obsession —he wanted to magnify it, to build a table, a chair, a lamp, but all of a classicism that was at once dazzling and austere.
Roads less Travelled
Not only does Anthonioz accept fully the apparent ambiguity of his moving back and forth between his skills and artistic impulses, but he claims it as his own individual approach, his own method, his very substance and being as an artist. All these directions, these many different branches created using materials that are at once different but familiar —wood, plaster, bronze— have traced a switchback career that defies any pigeonholing, a body of work almost impossible to catalogue, and all the more so as his use of these disparate techniques is not successive and devided into clearly defined periods: rather they grow, intersect and intertwine, becoming more developed and polished, often simultaneously. With Philippe Anthonioz, time remains an enigma. As he plays on a variety of different instruments —at once similar and disparate, his interest running in parallel but never in isolation, emerging, finding full expression, then lapsing into silence before re-appearing with even greater force —they coalesce to form an eclectic orchestra of the most intense delicacy and lyricism. A way of working that is very much in tune with advances in contemporary art, by definition heterogeneous and diverse. The principal theme may rise to the surface or not, but it always there, always an underlying presence, never discordant. This desire not to clip his wings, to try his hand at everything that moves or interests him, to take the road less travelled, all this is of a piece with Anthonioz's deepest identity, as a complex and complete artist who delights in exploring all that intrigues him, until it coalesces to form a whole. No single branch of the tree is the same as any other, but all of them spread from the same trunk, all form part of the same canopy, all are part of a single kinship, a single family tree.
Points and Contrerpoints
Though he may be self-taught, Philippe Anthonioz has nevertheless received a comprehensive education from his family, a remarkable and unconventional family who have taught him their values simply by example, by living them. From his family he also learned about art from mixing with artists (and distinguished ones at that), about generosity and altruism, and the courage that freedom demands, about thinking as well as doing. From them he learned about the simple, unassuming beauty that can lie hidden within everyday, ordinary things, and how to sharpen both his outward gaze, searching out the perfect detail, and his inward gaze, with its landscape of dreams, innocence, freshness and wonder. He tells a story of how, from a collection of some fifty statuettes in the old Egyptian museum in Turin, he was able to pick out the handful that were not just fascinating archaeological finds, but also —because their quality leapt out at him— true sculptures. Being able to look with wonder is being able to resist, to meet life head-on and above all to draw it out, constantly, remorselessly —hence the obligation to give recognition to the power of his imagination, and to be attentive to it. While some of his sculptures writhe like flames or coil round in space, others are frontal and open, or are in the round and more compact, while others again are "left hanging", displayed in their unfinished form, as though bearing witness. Similarly, his maquettes for furniture and his magnificent photographs filled with silence exist in order to give concrete form to fleeting moments, to impromptu ideas not followed up, like sketches, buds or leaves about to fall, scraps of sentences like a message cast out to sea in a bottle. Points of departure for elsewhere, points to be followed by counterpoints: furniture and photography as counterpoints to sculpture.
The tree of life
Anthonioz's sculpture thus often has an "unfinished" appearance — an expression of an impatience, an urgent need to create, to put things "on hold". He gives expression above all else to life, and detests the notion of "finishing" or "completing", which for him speaks of putting to death. The painstaking, meticulous nature of craftsmanship, by contrast, frees him from the spell of the "non finito" that as held so many great sculptors in thrall over the centuries. He strives to create sculpture, not statuary. He reminds us that sculpture has existed for over thirty thousand years, taking every possible and conceivable form, from worked flints to contemporary installations, and he views himself as a small cog in this immensely long history. He finds furniture commissions both reassuring and liberating: «Commissions have to be finished, and all my furniture starts off as commissions.» Furniture as sculpture, sculpture as furniture, or sculptors' sculpture? The question lost its relevance long ago. Whether he leaves it in plaster, like some chandeliers, or sublimates it in bronze, Anthonioz's furniture remains at its core wholly functional; it never turns into design objects. It is always a matter of form linked to the chosen material, cast and produced in a limited edition of eight. Creating an open edition would imply that the material was fixed, that the life had been removed from it. Life: the word that Anthonioz uses more than any other. The life that he discovers in the lineaments of faces, and that he found when he moved into a studio in the Drôme, there to discover nature, and his love for the dynamism of the landscapes silhouetted outside his windows, and for a new wealth of lines that were intertwined and interlaced. Nature has brought him to a rediscovery of the immense power of light, and lent fresh impetus to his ability to intensify linear tensions while also strengthening his urge towards abstraction. It has given new density to his "plein et vides", filled and empty spaces, and injected more movements into his work. In short, it has helped him to put the relief back into life.
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Livre publié en 2011 par Saint-Honoré Consulting à l'occasion de l'exposition «Philippe Anthonioz - Sculptures» chez Saint-Honoré Art Consulting, Paris, du 30 novembre 2011 au 23 décembre 2011.
Ces natures mortes sont tout sauf mortes, elles s'apparentent plutôt aux «Objets tranquilles» comme on nomme les estampes japonaises du XVIIIe siècle, ces groupes cadrés de fruits, de courges, de vases et de boîtes cadrées en diagonales. Ou aux Teatrini de Fausto Melotti, ces boîtes en plâtre construites par le sculpteur italien qui mettait en scène des visions abstraites, géométriques, légères et musicales. Même compositions «découpées», même vie poétique, même luminosité chez Philippe Anthonioz. Même vie silencieuse, crémeuse, ronde.
La rondeur chez Philippe Anthonioz est une constante, l'élément unificateur de ces bas-reliefs, comme on la trouve chez Rubens dans les culs des chevaux, les casques, les bras charnus, les gestes… le flamand nous ferait croire que même les épées sont arrondies! Ces bas-reliefs ont quelque chose des rondes bosses même si le terme technique est inexacte: disons que les reliefs de la sculpture sont en effet peu saillants et se détachent peu de leur fond, mais le mot, rien que le mot, rien que le «son» du mot, correspond si bien! Le spectateur a le droit de ressentir des sons. Les formes géométriques représentées dans ces plaques sculptées sont simples, assez plates, bien évidentes: le carré, le rectangle, l'angle, le cercle… et tout ce qui s'en suit. Or, par effet optique dû à la lumière, dû à la matière, dû au travail, ces formes se transforment —à mes yeux— en «bosses» puisqu'elles n'ont jamais aucun caractère pointu ou tranchant: elles s'épanouissent en rotondité, même les angles deviennent émouvants comme des feuilles charnues, se gonflant en pétales. D'ailleurs on imagine que si Matisse avait voulu faire des Papiers découpés en sculpture, il se serait approché de ce résultat. On se prend à vagabonder, à prendre des chemins de traverse, devant les bas-reliefs immaculés de Philippe Anthonioz! Face à leur franche frontalité, on entre (ou on sort) dans un paysage immobile, suspendu, un décor d'avant que ne se lève le rideau, sur le point de frémir juste avant que la brise ne se lève. On assiste à un instantané pris lors d'un goûter, des feuilles se penchent sur une table, ronde bien sûr, une atmosphère bon enfant, éclatante de luminosité comme le Midi d'un certain Bonnard noyé dans les mimosas. Pourquoi pas. Philippe Anthonioz fait rêver, décidément. Il parvient à construire des ambiances familières et poétiques avec simplement une combinaison géométrique, l'air de rien, modeste.
La composition de ces formes géométriques changent imperceptiblement d'un bas-relief à l'autre, et lorsqu'on les accroche au mur en série, elles racontent des bribes d'histoires reliées entre elles comme lorsqu'on feuillette des photos. Des petits bouts de vies et de vues que l'on verrait à travers le cadre d'une fenêtre, posés sur son rebord. Fragments de cosmos, de jardin, de campagne, de nature-morte, d'atelier. Toute une géométrie métaphysique mais chaleureuse où les triangles répondent aux cercles, les angles s'interpénètrent, se juxtaposent, les rectangles se superposent et où les colonnes et les piliers soutiennent l'ensemble. Ces cheminées, ces cônes, seraient comme des rideaux ouverts, des volets intérieurs. Ils participent beaucoup à l'architecture de la scène, ils apportent la verticalité plantée ainsi de chaque côté sur la ligne horizontale du bas, du rebord, de la sellette, laquelle joue le rôle du socle, de l'estrade. Ces colonnes sont belles, douces et sensuelles, elles attrapent la lumière, offrent de l'ombre aux autres formes. Les ovales? Ils s'incrustent ou se mettent en avant en plein éclairage pour séduire, tel un visage. Chacun joue sa partition, s'encastre l'un dans l'autre, se rassemble ou s'écarte pour mieux flirter. La disposition intérieure change bien sûr, mais reste en famille, même les compas sont bienveillants et la géométrie, toujours guettée par définition par la Melancholia, lance au contraire des notes calmes et pleines. La lune est ronde de joie, les pétales s'ouvrent ou se ferment, l'imagination s'envole. On baigne dans une clarté tendre, la fameuse tendresse du plâtre avec ses pores qui respirent. On plonge avec volupté dans un blanc tranquille, reposant. La matière palpite de partout, et quand la lumière baisse, la voilà laiteuse, de cette merveilleuse blancheur qui nimbe les pots de Morandi.
Tout à coup, on s'inquiète: attention aux gris qui guettent, embusqués dans les interstices, aux formes qui s'éloignent et se déplacent comme les blocs de glace dans la mer du Nord. Heureusement la construction un peu cubiste des plaques de Philippe Anthonioz semble solide, les formes bien soudées. On a juste frissonné un très court instant, comme avant la nuit quand les oiseaux brusquement se taisent.